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Assassinat de Jovenel Moïse : « L’impasse politique n’a fait qu’accélérer et instrumentaliser la violence en Haïti »

Le président Haïtien Jovenel Moïse a été assassiné dans la nuit du 6 au 7 juillet. Ce meurtre intervient au moment où le pays est gangréné par la violence. Le pays est également plongé dans une crise politique. Jovenel Moïse, en effet selon ses opposants, devait abandonner le pouvoir début février. L’homme a refusé de quitter le palais présidentiel. La crise politique va-t-elle s’enliser ? Réponses de Frédéric Thomas, docteur en science politique, chercheur au Centre tricontinental (CETRI) à Louvain et spécialise d’Haïti. Entretien

TV5MONDE : Que signifie politiquement l’assassinat de Jovenel Moïse ?

Frédéric Thomas :  Malheureusement, c’est l’indice d’une recrudescence de la violence. La violence généralisée, la violence des affrontements entre les gangs. Depuis début juillet, il y a eu une soixantaine d’assassinats et là malheureusement c’est le dernier épisode de ces affrontements entre gangs, de cette violence généralisée qui gangrène le pays et la capitale en particulier.

C’est une violence qui vise à s’assurer le contrôle de quartiers populaires dans la capitale afin de s’assurer le vote au vu des prochaines élections.

Frédéric Thomas, chercheur spécialiste d’Haïti

Cette violence a augmenté au fur et à mesure du développement des manifestations pour la démocratie, pour la lutte contre la corruption et contre l’impunité. Elles ont été la cible de répression.  Cette violence est montée en puissance au fur et à mesure que les gangs armés se sont développés. Elle a véritablement commencé à se développer fin 2018, et il y a eu une accélération au cours de cette dernière année.

Des soldats haïtiens patrouillent les rues du quartier de la résidence présidentielle où Jovenel Moïse a été assassiné à Port-au-Prince, mercredi 7 juillet. 
Des soldats haïtiens patrouillent les rues du quartier de la résidence présidentielle où Jovenel Moïse a été assassiné à Port-au-Prince, mercredi 7 juillet.
AP Photo/Joseph Odelyn

On sait que c’est une violence de groupes armés liés au pouvoir et plus spécifiquement à la classe gouvernante. C’est une violence qui vise à s’assurer le contrôle de quartiers populaires dans la capitale afin de confisquer le vote au vu des prochaines élections. Et l’impasse politique dans laquelle se trouvait Haïti, avec l’obstination du président de se maintenir et de maintenir un calendrier électoral alors qu’aucune condition n’était réunie, n’a fait qu’accélérer et instrumentaliser cette violence.

Ce gouvernement est totalement discrédité, illégitime. Jovenel Moïse avait terminé son mandat depuis le 7 février

 Frédéric Thomas, chercheur spécialiste d’Haïti

TV5Monde : Il venait de nommer un nouveau Premier ministre, Ariel Henry, et son prédécesseur n’était pas resté plus de trois mois. Qu’est-ce que cela révèle de la situation politique du pays ? 

Frédéric Thomas :  Ça reflète un gouvernement qui est totalement discrédité, illégitime. Jovenel Moïse avait terminé son mandat depuis le 7 février, ce sont des partis politiques qui représentent très peu de choses, qui n’ont pas du tout la confiance de la population. On était simplement dans une série d’effets d’annonce pour essayer  de contenter la communauté internationale et de faire semblant qu’il y avait des avancées en termes de consensus, de dialogue en vue de ces élections qui étaient impossibles dans les conditions de violences actuelles en Haïti.

 

Le premier tour de ces élections était prévu fin septembre 2021, mais elles ne sont pas légitimes car entachées de fraude. Elles se produisent dans un climat de violence qui rend difficile toute circulation dans Port au Prince, ce qui de toute façon n’aurait pas été crédible et n’aurait par rendu possible leur tenue.

TV5Monde: Qu’est-ce qui doit être mis en place pour tenter d’améliorer la situation politique en Haïti ? 

Frédéric Thomas : On revient à la case départ, aux revendications portées par l’ensemble des acteurs sociaux de la société civile depuis des mois, à savoir : une transition. Les conditions pour des élections ne sont pas réunies, il faudrait une transition pour prendre le temps de lutter contre l’impunité et qu’il y ait des sanctions, des enquêtes par rapport à ce crime mais aussi par rapport à tous les autres qui l’ont précédé. Ainsi on irait vers la construction des conditions qui permettraient à moyen terme des élections. C’est de nouveau revenir à l’écoute des revendications des Haïtiens, de ce qu’ils demandent depuis des mois, à savoir un processus de transition.

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